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Même si la baie d’atterrissage d’une résidence était considérée comme son entrée la plus importante, Viqi Shesh avait appris depuis bien longtemps qu’une approche autre que celle de la voie des airs révélait énormément de choses sur le statut de ses occupants. L’appartement des Solo se trouvait au fond d’un couloir en cul-de-sac aux parois aseptisées, aussi large qu’une voie rapide pour speeder. Le sol était carrelé de pierres de larmal laiteuses, un matériau naturel et fort cher, qu’on ne trouvait que dans le champ d’astéroïdes de Roche. Entre les colonnes de marde blanc, on avait aménagé des niches circulaires où fleurissaient des jardinières de rares ladalums pourpres. Un plafond voûté, réalisé à partir de panneaux lumineux fabriqués sur mesure, baignait toute la zone d’un éclat tamisé. Un Serv-O-Droïde souriant – mais sans aucun doute équipé du dernier cri en matière de sécurité – attendait patiemment à l’extérieur de la porte de cristalacier.
Les Solo avaient certainement réduit leur train de vie depuis le temps où Leia occupait les fonctions de chef de l’Etat. Ayant appris qu’ils avaient discrètement abandonné leur luxueuse villa d’Orowood au profit d’un logement meilleur marché dans le district administratif d’Eastport, Viqi avait d’abord eut du mal à croire ce que lui avait rapporté son informateur. On ne s’attendait pas à retrouver deux des héros les plus acclamés de la Rébellion, deux individus ayant tant frayé avec le pouvoir, vivant au milieu des bureaucrates. Et encore moins à un étage situé à près de trois cents mètres sous le sommet d’une tour qui, de plus, n’était pas recensée parmi les plus hautes du quartier. Pourtant, les ladalums finirent de la convaincre. Poussant uniquement sur Alderaan, ils étaient réputés pour leur floraison d’un rouge très vif. Mais cette coloration se produisait seulement lorsqu’ils étaient plantés dans leur terre d’origine. Avec tous les problèmes de maladies et de mauvaise pollinisation, ils étaient – comme tout ce qui provenait d’Alderaan, ces derniers temps – en voie d’extinction.
C’était ce qui arrivait à ceux qui perdaient le pouvoir, songea Viqi. Une déchéance lente et inexorable, conduisant à une disparition totale. C’était ce qui était arrivé à Mon Mothma, à l’Amiral Ackbar. C’était ce qui se produisait pour Leia Organa Solo. Et ce qui arriverait certainement à Viqi Shesh, après son renvoi du Sénat, suite à l’intervention de Luke Skywalker et de ses manipulations de Jedi.
Ne souhaitant pas attirer l’attention sur elle en observant trop longuement la résidence des Solo, Viqi tourna la tête, l’air de rien, et reprit sa route. Elle passerait aisément pour une quelconque bureaucrate d’Eastport, ayant quitté son travail dans l’après-midi pour rentrer chez elle afin de vaquer à des affaires plus personnelles. Elle était vêtue d’un élégant manteau à col montant et d’un chapeau lui tombant sur le front. La parfaite tenue pour le rôle, qui avait bien dupé le jeune Jedi chargé de la pister lorsqu’elle avait échangé ses vêtements avec ceux d’une de ses assistantes dans les toilettes d’une plate-forme de transit surpeuplée. Elle suivit le couloir jusqu’à une batterie d’ascenseurs, pressa sur le bouton du niveau le plus élevé et ôta son manteau et son chapeau.
A présent vêtue de la tenue très stricte d’une employée de banque, elle déboucha sur l’aire d’atterrissage des navettes aériennes. Elle se débarrassa de son manteau dans un vide-ordures à désintégration, traversa la plate-forme et gagna un autre ascenseur. Après avoir donné le code d’autorisation d’accès à un appartement occupant le même niveau que celui des Solo, elle redescendit à l’étage concerné et s’engagea dans le couloir. Elle essaya de réfléchir à un moyen de libérer sa sensilimace sans se faire repérer. Pénétrer dans le cul-de-sac sous le prétexte fallacieux d’admirer les ladalums ne semblait pas la meilleure des options. Le droïde-serviteur serait certainement très poli, mais il profiterait de leur échange pour procéder à une identification de son image et de son empreinte vocale.
Viqi se décida pour une approche de front, cette fois-ci. Elle avança, l’air dégagée, le regard plongé sur une pile de feuilles de filmplast dont elle s’était pourvue en guise d’accessoire. Impossible de rejoindre la porte du fond de l’impasse sans être repérée par le droïde. Ce qui signifiait qu’il lui faudrait vite trouver un autre moyen de libérer la sensilimace. Son contact lui avait assuré que ces créatures étaient à même de se débrouiller seules une fois qu’on leur avait assigné leur cible. Mais les Yuuzhan Vong en savaient autant sur les droïdes de nettoyage qu’elle-même sur les sensilimaces. Ayant déjà perdu près d’une demi-douzaine de ces créatures en essayant d’en introduire discrètement dans les bureaux du CSMNR, elle était à peu près persuadée que, à l’instant même où elle en déposerait une près des ladalums, un quelconque petit prédateur surgirait pour la dévorer.
Viqi commençait donc à envisager d’autres options – livrer de la nourriture ? faire appel à quelqu’un d’extérieur ? – lorsqu’elle entendit des voix dans le couloir juste derrière elle.
–… pas vraiment le moment d’aller faire du tourisme, était en train de dire Han Solo.
– C’est exactement le moment ! le contra Leia. Ils devaient bien avoir une raison pour ne pas révéler l’attaque sur Reecee, non ? Et cette raison est d’autant plus importante, maintenant que nous sommes au courant.
Prétendant toujours être absorbée par la lecture de ses notes, Viqi glissa discrètement une main dans une de ses poches et empoigna une chose molle et gluante de la taille d’un pouce. A la place de la tête, la créature possédait un curieux assemblage de terminaisons optiques. Viqi tendit la main en direction de la porte de cristalacier de l’appartement des Solo et appuya sur la limace. Au bout de quelques secondes, elle la sentit se réchauffer dans sa paume, témoignant par là qu’elle avait compris ce qu’on attendait d’elle. Han et Leia débouchèrent juste derrière elle. Quelque chose, ou quelqu’un, dans leur groupe gargouilla doucement et deux paires de pas métalliques retentirent sur le sol.
– En plus, nous la connaissons cette raison, insistait Han. C’est Bilbringi !
– Non, ça c’est la raison évidente, rétorqua Leia. Depuis quand crois-tu à l’évidence des actions des Yuuzhan Vong ?
Les Solo passèrent devant Viqi sans lui prêter attention. Tous deux étaient vêtus de combinaisons de vol froissées et usées. Han tenait un petit bébé dans ses bras. Viqi n’était guère experte en matière de nouveau-nés – lorsque viendrait pour elle le temps d’enfanter, elle ne manquerait pas d’engager une équipe pour se charger de la chose –, mais elle savait que les rejetons des Solo avaient à présent atteint l’âge adulte, ou presque. Il devait donc s’agir de l’héritier des Skywalker.
Le célèbre droïde doré du couple avançait d’un pas pesant juste derrière eux. Il était accompagné d’un droïde-nurse à quatre bras qui se mouvait avec élégance. Viqi se tourna un peu plus vers le mur. Les deux humains ne la reconnaîtraient certainement pas, en raison de son déguisement. Elle savait également qu’il s’agissait là du dernier endroit où ils s’attendraient à la rencontrer. Pour les droïdes, c’était une autre paire de manches. Les droïdes analysaient et étudiaient tout ce qui les entourait, ils ne se laissaient pas entraver par leurs émotions. Viqi comprit que le droïde de protocole, tout au moins, comparerait dans le mouvement son visage aux informations stockées dans ses banques de données.
Mais il semblait plus préoccupé par la conversation de ses propriétaires que par l’identité de cette inconnue qui déambulait dans le couloir. Quand Han voulut répondre aux objections de son épouse, le droïde déclara :
– Je vous prie d’excuser cette interruption audacieuse de ma part, mais il me semble bien que Messire Luke et Maîtresse Mara ont déclaré que Ben serait plus en sécurité sur Coruscant. Je crois qu’ils attendent de nous que nous y demeurions plus de cinquante-sept minutes, tout de même.
Leia lança par-dessus son épaule un regard qui aurait certainement fait fondre les circuits de droïdes moins importants.
– Ça, c’est mon affaire, C-3PO.
– Oui, Altesse.
Viqi devina, à la présence du bébé Skywalker, qu’ils devaient tout juste débarquer de la base secrète des Jedi. Tsavong Lah était toujours à la recherche de son emplacement – et c’était d’ailleurs pour cela qu’il lui avait confié cette mission – et, repensant à ce que Skywalker lui avait fait subir au Sénat, elle sourit à l’idée de pouvoir enfin satisfaire son commanditaire. Elle attendit encore quelques instants, pour s’assurer qu’il n’y avait plus personne à la traîne du groupe des Solo, et, lorsque ceux-ci s’engagèrent dans le cul-de-sac conduisant à leur appartement, elle lança la sensilimace vers le dos du droïde de protocole.
La créature atterrit sur la coque de métal sans faire le moindre bruit et glissa doucement vers la partie découverte de la taille du droïde. Celui-ci marqua brusquement une pause à l’intersection des couloirs et fît pivoter sa tête à cent quatre-vingts degrés. Viqi cacha prestement son visage derrière sa pile de documents et fit demi-tour dans le corridor. Elle heurta alors quelque chose qui lui arrivait à peine à hauteur de la poitrine et poussa un cri de surprise, envoyant voler ses feuilles de filmplast dans toutes les directions.
– J’implore votre pardon, gronda alors une voix fine.
Elle baissa les yeux et découvrit un petit extraterrestre aux yeux exorbités, à la peau grise et aux crocs acérés, occupé à rassembler les documents éparpillés entre ses doigts griffus.
– Je vous prie de m’excuser, dit le Noghri en lui tendant la pile.
Viqi laissa la créature déposer les feuilles entre ses mains et sentit que les Solo étaient en train de l’observer. Elle avait bien pris soin de modifier son apparence, en teignant ses cheveux couleur de cendres et en se servant largement des accessoires fournis dans les trousses de déguisement des services d’espionnage de la Nouvelle République. Elle regretta cependant de ne pas avoir accepté la proposition de son contact de lui fournir un grimage Ooglith. Incapable d’en supporter plus, elle releva la tête et vit que les Solo étaient tournés vers elle.
– Ça va ? demanda Han, visiblement inquiet. Vous voulez entrer et vous asseoir quelques minutes ?
Viqi sentit son cœur lui bondir dans la gorge. Elle marmonna quelque chose d’incompréhensible, puis détala en secouant la tête.